Je suis un chevalier
A la triste figure ;
Fendu, mon bouclier ;
La rouille bouffe mon armure.
Les gentes dames pouffent
-Les garces !- sur mon passage ;
J’enrage, je m’étouffe,
Songeant à d’anciens âges.
Mon haubert est troué,
Mes éperons, brisés ;
Le destin m’a roué,
Cruelle est sa risée.
Pire qu’un fléau d’arme,
Acharné il me cogne ;
Je n’ai plus que mes larmes
Pour saler ma charogne.
Pourtant j’ai moi eu ma grande heure de gloire ;
Je fus l’objet de folle idolâtrie ;
J’ai eu mon soûl de fracassantes victoires ;
L’respect du roi, l’amour de ma patrie.
Je portais fier mon heaume étincelant ;
Je possédais des destriers fougueux ;
Et tout cela pour finir pantelant ;
Bien plus pouilleux que ne le sont les gueux…
Je suis un chevalier
A la triste figure ;
J’ai perdu mes alliés,
Tout panache, toute allure.
Perdu fiefs et château,
L’honneur de mon blason ;
Serviteurs et vassaux,
Ne sont plus de saison.
Moi qui frappais quintaines
Et portais gantelets
N’ai plus que des mitaines
Pour me cacher mes plaies.
C’est sans nul étendard,
C’est sans caparaçon,
Comme rosse de corbillard
Que s’ traîne mon canasson.
Pourtant, vraiment, quel grand champion j’étais !
Quel combattant craint, convoité je fus !
Tant les seigneurs que les dames me fêtaient,
De ma présence, tous étaient à l’affût.
Lors des tournois dévolus à mon culte,
La foule en liesse aimait à m’acclamer.
Mais pour un mot qu’il prit pour une insulte
Le roi de tout m’a déchu, m’a blâmé.
Je suis un chevalier
A la triste figure ;
Par faim et froid plié,
Piteux je me figure
Mon passé tant glorieux,
Mes amours, mes conquêtes,
Mes combats victorieux,
Ces heures que je regrette.
J’ai soudain basculé
De la ferveur des lices
A ce sort d’exilé,
Au plus cruel supplice :
Celui de n’être plus
Après avoir été ;
Celui d’avoir déplu
A Votre Majesté…