De revoyures en revoyures
Tout s'est effiloché
Comme cessent leur aventure
Cailloux qui ont trop ricoché.
Le temps et la distance ont su
Distendre tous nos liens ;
Jamais ne l'eût-on cru
Mais il ne sert à rien
De nier l'évidence :
Notre amitié est souvenance.
Te rappelles-tu Jeannot
Nos arcs artisanaux,
Nos blagues, nos parents effarés ?
Batailles d' yaourt
Et culottes courtes,
Bon sang qu'on savait se marrer !
Et toi mon ami Hans,
Le temps des confidences
Tandis qu'on s'éprenait sans cesse
De filles dont on faisait des princesses ?
Canifs, entailles et serments de sang,
Courses folles, nous heureux, hennissant.
Et vous, Gaston, Fernand,
Vous souv'nez-vous d'avant
Qu'on ait passé le grand tournant ?
Celui qui a fait qu'on est dev'nus grands.
De revoyures en revoyures
Nous nous sommes perdus.
Tombés dans la sciure
Ou balancés comme pendus.
Le temps et la distance ont su
Sans qu'on n' soupçonne rien
Sucer comme sangsues
La fibre de nos liens
Et reste l'évidence :
On a péché par négligence.
Vous rappe'lez-vous les gars
Comme on était gagas
Et combien tous cinq on s'aimait ?
C'était certain
Que le destin
Ne nous séparerait jamais !
Parfum d'éternité,
Soudés l'on a chanté
Brassens et « Les copains d'abord » :
Notre amitié n' pouvait virer d' bord.
Quand a cessé le temps des billes
Est v'nu l' temps des émois, des filles.
Mais rien n'a entamé,
Même de filles affamés,
Le doux bonheur de nous aimer :
Sereins, l'on n' s'est jamais alarmés.
De revoyures en revoyures
Toujours plus espacées,
Tout a pris une tournure
Qui nous a trahis dépassés.
De lettres mortes en lettres mortes,
L'amertume a gagné :
Vos visages qui m'importent
Se sont comme éborgnés ;
Je n'ai reçu de signe et
M'y suis bêtement résigné.
Pourtant quand le facteur
Eteignait son moteur,
Je comptais ses pas dans l'allée :
Ils résonnaient,
Je m' raisonnais,
Bien qu' j' sentais mon coeur s'emballer !
J'avais espoir que sonne
Chaque soir mon téléphone
Et que j'entendrais l'un de vous
Mais chaque fois, c'était pour des clous !
Je me suis fait à votre absence
N'ai pas combattu vos silences :
J'ai cessé d'espérer
Et parent effaré,
Je me suis entier consacré
A mes enfants : de nous les portraits !
Nos ultimes revoyures
Souillure et vomissures
J'suis là, Jean, mais tu vas crever.
De la mort la morsure,
L'issue hélas est sûre,
Il n'est plus rien pour te sauver.
Et moi à ton chevet
Sais que ce qu'on rêvait
De vivre est à jamais perdu
Et d'espoir
Eperdu
Je brûle de vous revoir,
Vous trois à qui je pense :
Gaston, Fernand et Hans.